Motivation
Le terme biodiversity est attribué (Meine, Soulé, et Noss 2006) à Walter Rosen, un membre du National Research Council américain, qui a commencé à contracter les termes biological diversity pendant la préparation d’un colloque dont les actes seront publiés sous le titre “Biodiversity” (E. O. Wilson et Peter 1988). La question de la diversité biologique intéressait les écologues bien avant l’invention de la biodiversité, mais le néologisme a connu un succès fulgurant (Blandin 2014) en même temps qu’il devenait une notion floue, dans lequel chacun peut placer ce qu’il souhaite y trouver, au point de lui retirer son caractère scientifique (Delord 2014). Une cause de ce glissement est que la biodiversité a été nommée pour attirer l’attention sur son érosion, en lien avec la biologie de la conservation. Cette érosion concernant potentiellement de nombreux aspects du monde vivant, la définition de la biodiversité fluctue selon les besoins : DeLong (1996) en recense 85 dans les dix premières années de littérature. Les indicateurs de la biodiversité peuvent englober bien d’autres choses que la diversité du vivant : le nombre d’espèces menacées (par exemple la liste rouge de l’IUCN), la taille des populations ou la surface des écosystèmes préservés, la dégradation des habitats, la menace pesant sur des espèces emblématiques… Une mesure rigoureuse et cohérente de la diversité peut pourtant être construite pour clarifier beaucoup (mais pas tous) des concepts qui constituent la biodiversité.
Dans l’introduction du premier chapitre des actes de ce qui était devenu le “Forum sur la Biodiversité”, Wilson utilise le mot dans le sens étroit de nombres d’espèces. L’élargissement de la notion aux “systèmes naturels” et à l’opposé à la diversité génétique intraspécifique est venu du monde de la conservation (Speth, Holdgate, et Tolba 1992). La déclaration de Michel Loreau, président du du comité scientifique de la conférence de Paris en 2005 (Loreau 2005) en donne une définition aboutie :
La Terre abrite une extraordinaire diversité biologique, qui inclut non seulement les espèces qui habitent notre planète, mais aussi la diversité de leurs gènes, la multitude des interactions écologiques entre elles et avec leur environnement physique, et la variété des écosystèmes complexes qu’elles constituent. Cette biodiversité, qui est le produit de plus de 3 milliards d’années d’évolution, constitue un patrimoine naturel et une ressource vitale dont l’humanité dépend de multiples façons.
Aujourd’hui encore, le terme biodiversité concerne le plus souvent la richesse en espèces d’un écosystème. Pour simplifier la présentation, le niveau d’étude dans ce document sera en général celui des espèces (autre concept flou, Hey 2001). La prise en compte de la totalité des êtres vivants est généralement hors de portée. La mesure de diversité est alors limitée à un taxocène, c’est-à-dire un sous-ensemble des espèces d’une communauté reliées taxonomiquement : les papillons, les mammifères, les arbres (la délimitation du sous-ensemble n’est pas forcément strictement taxonomique)…
Un objet privilégié des études sur la biodiversité est, depuis le Forum, la forêt tropicale parce qu’elle est très diverse et un enjeu pour la conservation. La plupart des exemples concerneront ici les arbres de la forêt tropicale, qui ont l’avantage d’être clairement définis en tant qu’individus (donc simples à compter) et posent des problèmes méthodologiques considérables pour l’estimation de leur diversité à partir de données réelles.
On peut bien évidemment s’intéresser à d’autres niveaux et d’autres objets, par exemple la diversité génétique (en termes d’allèles différents pour certains gènes ou marqueurs) à l’intérieur d’une population, ou même la diversité des interactions entre espèces d’une communauté (Jizhong, Shijun, et Changming 1991). On gardera toujours à l’esprit que la prise en compte de la diversité spécifique n’est pas la seule approche, les méthodes présentées ici s’appliquent à la mesure de la diversité en général, pas même nécessairement biologique.
L’objectif de ce document est de traiter la mesure de la biodiversité, pas son importance en tant que telle. On se référera par exemple à Chapin et al. (2000) pour une revue sur cette question, Cardinale et al. (2012) pour les conséquences de l’érosion de la biodiversité sur les services écosystémiques ou Ceballos, Ehrlich, et Dirzo (2017) pour les propriétés autocatalytiques de la biodiversité.
La mesure de la diversité est un sujet important en tant que tel (Purvis et Hector 2000), pour permettre de formaliser les concepts et de les appliquer à la réalité. La question est loin d’être épuisée, et fait toujours l’objet d’une recherche active et de controverses (Ricotta 2005d).